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La condition géographique avec Hélène Paris
à la Galerie 3e parallèle (Paris 3)
du 19 mai au 17 juin 2017



Chez Hélène Paris et Nelly Monnier, la condition géographique est hors sol :
dans l’espace blanc, vide, formel, de la feuille de papier. Ici, des troncs de bouleau exhibent leurs extrémités en coupe, là, une fontaine s’écoule et cesse de s’écouler,interrompue par la section d’une ligne. Il y a des surfaces épaissies d’aplats de couleurs sourdes, de hachures, des préaux, des matières, mais il n’y a pas de fond : car le fond est la forme, ou plutôt, le formel, par quoi la pensée accède à cette solitude ontologique qui ceint tout ce qui est une chose chez le philosophe Tristan Garcia, pour que cette chose soit, et rejette dans l’indistinction tout ce qui n’est pas elle.

Mais n’importe quoi est une chose, c’est-à-dire un bout, une section de chose, une perspective ou un plan. Ici, une volée de marches d’escaliers s’interrompt à l’entre-sol, là une plaque hachurée n’offre aucun support solide, ailleurs, un pli clair suggère un non-volume.

La nature et les choses s’étendent à l’infini : dans le monde objectif, tout prolifère, objets et rapports d’objets, liaisons physiques et organiques, dans le grand continuum de la matière. Le dessin lui, est discret. Il a arraché les racines et les connectiques qui relient les objets les unes aux autres, il a extrait la chose de chaque objet. Le dessin découpe, il fait une incision, à la pointe du feutre noir,

et révèle au regard ce que la chose peut quand elle est seule, en suspens dans l’espace blanc, vide, formel de la feuille de papier. Sa solitude ontologique élevée au graphique fait entrer le regard dans la fiction du vide. La chose y a la présence massive et pourtant suspendue d’un big dumb object dans l’espace décrit par les romans de science-fiction. Ce parallélépipède marbré ne pèse d’aucun poids bien qu’il s’impose, horizontal, support abstrait d’un autre volume sombre. Dans l’espace noir et blanc qu’ils configurent sur fond de néant, s’insère une tranche de couleur ambiguë : teintes pastel et fluorescentes au réalisme déréalisé, au naturalisme fidèle à la nature numérisée. Leurs verts et ocres de gouache, peu mélangée, évoquent un souvenir de la nature, le continuum de la matière réprimée. 

Mais ils s’insèrent au millimètre, avec une rigueur mathématique dans le cadre laissé par les lignes données, cadre d’écrans où la représentation domestique le souvenir du non-domestiqué.

On dirait un monde à l’usage d’intelligences supérieures où l’intimité
fonctionnelle des choses est exhibée au regard comme une vérité du réel, autonome et presque menaçante, dans cette autonomie même. La fonction
est en fait la substance, le mode d’emploi est l’ontologie, l’utilisateur, un penseur spéculatif. Mais ce penseur n’est pas dans l’image, pas plus qu’aucune figure sensible – humaine ou animale –, c’est l’image qui est en lui : projection de so sens interne où le corps qui voit et sent n’a pas lui-même de contours visibles.
La main qu’il passe sur la rugosité de ce plan de roche, les bras dont il entoure
cette colonne effilée, n’existent pas : il se tient dans ce monde sans corps parce que ce monde se tient à l’intérieur de lui, représentation qui l’absente mais qu’il conditionne. Voilà peut-être sa condition géographique, d’être ce dans quoi les choses sont quand elles ne sont nulle part, dans le vide de leur solitude ontologique. Elles n’ont pas besoin de plus pour être. Dans ce vide, elle se tiennent. « Le monde sans objet » dit Malevitch – et donc sans sujet –
« ou le repos éternel ». Mais on se demande, alors, en regardant reposer ces choses, de l’autre côté : manquent-elles, parfois, de notre présence ?


Agnès Gayraud











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