Revue La Traverse N°5 - Fondation Ricard
Février 2023
+
Revue Multitudes n°63
Dossier Poésie Parle
Avec Pierre Paulin, Marie de Brugerolle, Sophie Bonnet-Pourpet, Sarah Bahr et Fabrice Mabime, Margot Pietri,
Lorna Flambeaux et Apodose Croniel, Fabien Steichen, réunis par Jérôme Mauche
en septembre 2016
https://www.cairn.info/revue-multitudes-2016-2-page-114.htm
+
Revue Hippocampe n°12
août 2015
20 x 26 cm, 128 pages, 14 euros
peintures et textes, dossier « Météorologie »
+
Revue KIOSK n°57
2013
Avec Eric Tabuchi
Publication numérique
visible sur le site internet de la revue Kiosk
KIOSK is a collaboration of 2 people.
A dialogue, a ping-pong by mail.
An Exchange of data, images, drawings, texts during one month.
Every month an artist is invited to propose an exchange with a person of his(er) choice.
A monthly edition will be created.
Format A4, landscape.
+
Revue Initiales N°3, Marguerite Duras
décembre 2013
Article « De l'amour je me souviens »
à lire ici
Plutôt que de nous éclairer sur un sujet, l'archive peut obscurcir la lecture qu'on a d'un écrivain, troubler la connaissance que l'on croyait avoir de lui, nous conforter dans le mystère. Une personne, à un moment particulier de sa vie dont on ne sait presque rien et par conséquent, par le biais duquel on ne peut tirer aucune conclusion, va écrire une phrase dans un cahier. Une première version, qui surplombera le souvenir. Sans se soucier de l'exactitude. Très vite, on comprend que ça parle d'amour. Rapidement, on en soupèse la gravité. Ça commence à la première personne du singulier, puis peu à peu, elle prend la place du je. On ne sait plus si on a affaire à un journal intime ou au début d'un roman, et quelles en sont les limites. Mais on ne se pose pas cette question, on a plutôt confiance en ce qui est écrit. C'est entouré de petites notes (téléphoner à, envoyer courrier pour), de gribouillages (téléphoniques, d'enfant), de recettes vietnamiennes. De consignes d'écriture, puisque : Rien ne devrait être clair. On revoit le sourire espiègle de cette petite dame qui, lorsqu'un journaliste lui demandait si elle avait vraiment eu un amant chinois en Indochine ou si sa mère était, comme elle l'écrivait, pianiste dans un cinéma, répondait : j'ai un peu triché...
« En marge » et « entre les lignes » sont des expressions faites pour l'archive. On y cherche la faille MD, comme on mènerait une enquête dans une affaire où l'écrit remplace les faits réels - où tout ce qu'on en ressortira ne sera, de toute évidence et avec délicatesse si possible, que présumé.
On se sent un peu comme Jacques Hold face à Lol V. Stein.
Février 2023
NM
(0)
Mieux que d'être allé, il paraît souvent plus juste d'avoir été. La traversée vaguement indifférente de l'aller se transforme en une succession d'instantanés de soi qui dessinent un tracé. Le lieu devient immanquablement celui d'un mouvement intérieur, celui de se sentir être. J'ai été cet automne à pied d'Alès à Anduze. J'ai été chaque hiver à La Bourboule pendant plus de vingt ans. J'ai été dans de nombreuses préfectures. J'ai été fatigué au bord de la Manche. Émue, à Moulins, en bord d'Allier. J'ai été à Mondoubleau avec mon fils. J'ai été dans les gorges de l'Albarine. J'ai été peu de fois à l'étranger mais je me suis toujours retrouvée dans d'étonnantes situations. J'ai été à l'arrière de la voiture d'un ami. J'ai été à Rethel, à Royan, à Remiremont. J'ai été dans les Landes avant les incendies. J'ai été prendre une douche à trois-milles mètres d'altitude. J'ai été seule chez mes parents. J'ai été amoureux dans un paysage que je n'ai pas vu.
ET (1) Pargny-sur-Saulx, Perthois, 2022
Avec un peu de mauvaise foi, il semble possible de réduire à quelques articles le code régissant l’esthétique de la photographie. La couleur par exemple évoque sans surprise la gaité ou la prodigalité mais aussi, en contrepartie, la séduction voire la vulgarité. À contrario, le noir et blanc renvoie au passé, à la gravité, mais de façon souvent caricaturale ou opportuniste. De même, l’usage du contre-jour ou du flou, voilant la réalité d'un halo poétique, confine dans bien des cas au kitch. Quant à la netteté, vertu de l'objectivité, elle tend à classer l’art de la photographie au rayon désincarné de la technique.
De ce tableau volontairement simpliste, il ressort que les images de l’Atlas se situent dans les champs de la couleur - pondérée par la présence de ciels généralement gris - et d’une précision qui, soulignée par le redressement des verticales, se veut d'abord descriptive. Prises séparément, elles n’offrent donc pas beaucoup de place à l’interprétation. Volontairement, dans un souci de transparence, rien n’y est dissimulé ni suggéré. Tout dans la mesure du possible y est visible, coupant ainsi court à toute velléité d’extrapolation. En cela, c'est manifeste, elles ne constituent pas une invitation à laisser divaguer l’imaginaire.
Difficile dans ces conditions d'évoquer une qualité spectraletant il est vrai que nous nous attachons à faire en sorte que l’Atlas soit aussi concret que la multitude des objets qui le composent et dont nous nous efforçons de rendre au mieux chaque détail, qu’il soit d’une certaine façon aussi dépourvu de mystère qu’un catalogue de vente par correspondance.
Pourtant, et c’est un renversement que nous n’avions pas anticipé, l’Atlas, pris dans son ensemble, émet une sorte de radiation qui, par son immatérialité, contredit largement son ambition documentaire. Il serait bien entendu vain de vouloir démontrer l’existence de ce quelque chose qui échappe à l'entendement. Ce que je peux juste dire c’est que j’en éprouve la vibration. Je ne crois bien sûr pas plus aux fantômes qu'à de quelconques puissances occultes - je trouve bien assez de magie dans le réel pour ne pas éprouver le besoin d’en inventer. Il n'en reste pas moins vrai qu'à parcourir les plus de 20 000 images qui forment actuellement l'archive - avec ce que cela implique d'ordre et de rationalité - ce qui en émane, curieusement, ce sont des émotions.
Mieux que d'être allé, il paraît souvent plus juste d'avoir été. La traversée vaguement indifférente de l'aller se transforme en une succession d'instantanés de soi qui dessinent un tracé. Le lieu devient immanquablement celui d'un mouvement intérieur, celui de se sentir être. J'ai été cet automne à pied d'Alès à Anduze. J'ai été chaque hiver à La Bourboule pendant plus de vingt ans. J'ai été dans de nombreuses préfectures. J'ai été fatigué au bord de la Manche. Émue, à Moulins, en bord d'Allier. J'ai été à Mondoubleau avec mon fils. J'ai été dans les gorges de l'Albarine. J'ai été peu de fois à l'étranger mais je me suis toujours retrouvée dans d'étonnantes situations. J'ai été à l'arrière de la voiture d'un ami. J'ai été à Rethel, à Royan, à Remiremont. J'ai été dans les Landes avant les incendies. J'ai été prendre une douche à trois-milles mètres d'altitude. J'ai été seule chez mes parents. J'ai été amoureux dans un paysage que je n'ai pas vu.
ET (1) Pargny-sur-Saulx, Perthois, 2022
Avec un peu de mauvaise foi, il semble possible de réduire à quelques articles le code régissant l’esthétique de la photographie. La couleur par exemple évoque sans surprise la gaité ou la prodigalité mais aussi, en contrepartie, la séduction voire la vulgarité. À contrario, le noir et blanc renvoie au passé, à la gravité, mais de façon souvent caricaturale ou opportuniste. De même, l’usage du contre-jour ou du flou, voilant la réalité d'un halo poétique, confine dans bien des cas au kitch. Quant à la netteté, vertu de l'objectivité, elle tend à classer l’art de la photographie au rayon désincarné de la technique.
De ce tableau volontairement simpliste, il ressort que les images de l’Atlas se situent dans les champs de la couleur - pondérée par la présence de ciels généralement gris - et d’une précision qui, soulignée par le redressement des verticales, se veut d'abord descriptive. Prises séparément, elles n’offrent donc pas beaucoup de place à l’interprétation. Volontairement, dans un souci de transparence, rien n’y est dissimulé ni suggéré. Tout dans la mesure du possible y est visible, coupant ainsi court à toute velléité d’extrapolation. En cela, c'est manifeste, elles ne constituent pas une invitation à laisser divaguer l’imaginaire.
Difficile dans ces conditions d'évoquer une qualité spectraletant il est vrai que nous nous attachons à faire en sorte que l’Atlas soit aussi concret que la multitude des objets qui le composent et dont nous nous efforçons de rendre au mieux chaque détail, qu’il soit d’une certaine façon aussi dépourvu de mystère qu’un catalogue de vente par correspondance.
Pourtant, et c’est un renversement que nous n’avions pas anticipé, l’Atlas, pris dans son ensemble, émet une sorte de radiation qui, par son immatérialité, contredit largement son ambition documentaire. Il serait bien entendu vain de vouloir démontrer l’existence de ce quelque chose qui échappe à l'entendement. Ce que je peux juste dire c’est que j’en éprouve la vibration. Je ne crois bien sûr pas plus aux fantômes qu'à de quelconques puissances occultes - je trouve bien assez de magie dans le réel pour ne pas éprouver le besoin d’en inventer. Il n'en reste pas moins vrai qu'à parcourir les plus de 20 000 images qui forment actuellement l'archive - avec ce que cela implique d'ordre et de rationalité - ce qui en émane, curieusement, ce sont des émotions.
NM
(1) Palleau,
Châlonnais, 2018
Le Fenouillèdes se monte depuis Rivesaltes et peut être descendu par Bugarach. Autant dire que ce vallon calcaire est la route de peu de choses, sinon d'une suite de vignes entrecoupées de gares sur les portes murées desquelles les affiches du PCF remplacent progressivement celles du FN dans le sens de l'altitude. Là, par un grand soleil, j'achète un dimanche matin tous les fruits et légumes disposés sur la nappe cirée d'une dame, au marché. Probablement ramassés la veille à treize heures parmi les invendus d'un bourg plus gros, ils sont parfaitement mûrs. Elle tient en main trois merveilleuses tomates de février, et le visage bruni sous ses longs cheveux blancs, l'air de ne plus rien ressentir de ce climat rigoureux, de ne plus même entendre les frivolités de la rue, me tend un sac en plastique que je pose sur le toit de la voiture en attendant de retrouver ma clé. Comme on regarde un cul, certains jettent un œil sur les plaques d'immatriculation, c'est ce qu'elle a fait. Alors, découvrant notre 71, soudain les yeux aussi mouillés qu'une brume de décembre sur les plaines de Bourgogne, elle s'est approchée et a dit : J'ai passé mon enfance à Chalon-sur-Saône.
NM (2) Graçay, Champagne berrichonne, 2022
L'Atlas est composé d'un ensemble de réalités évidentes parce qu'elles occupent le paysage ou font des signes en bord de route, mais on y trouve aussi des itinéraires parallèles qui nécessitent une plus grande attention. C'est le cas de la série Lieux de drague, qui dépend d'une activité humaine basée sur la discrétion, une discrétion ostentatoire dans certains cas mais seulement pour ses initiés qui savent combiner une heure, un endroit et un geste pour se reconnaître et s'approcher. Nous visitons ces lieux dont nous avons lu des descriptions précises sur des sites dédiés. Certains, en centre-ville, sont pratiqués lorsque le reste du monde dort, d'autres ne sont accessibles qu'à pied, en bordure d'un lac, ils privilégient l'atmosphère bucolique. Mais très souvent, les rencontres rapides ont lieu dans l'anse d'un axe très fréquenté car susceptible de contenir des adeptes dans son flux, et qui intègre l'hypothèse d'être surpris. Parking de nationale, bosquet sous un pont d'autoroute, parcours sportif à l'entrée de la forêt, chemin qui longe une voie ferrée, bâtiment abandonné d'un ancien port. Leur accès est suggéré par un graffiti, l'alignement de quelques canettes de bière, des herbes piétinées. Ils engendrent des images d'espaces sans sujet autre que l'idée de leur utilisation furtive.
NM (3) Geiswasser, Hardt, 2019
C'est bien souvent qu'après avoir photographié un bâtiment sans qualité particulière ni positionnement géographique privilégié, nous croisions la police municipale. Depuis quelques années, il est possible qu'une investigation de nos déplacements à l'échelle du pays soit en cours, chacun des agents de cette étrange affaire espérant un jour nous surprendre en infraction de quelque chose. Le fantasme d'un propriétaire contactant les autorités locales est proportionnel à l'absence d'intérêt dont il pense que son bien fait l'objet. Notre curiosité pour un lieu peu considéré reste louche, elle ne peut qu'abimer un peu plus son image, piller ce qui lui reste de dignité. Dans un premier temps, il faut désactiver le principe de propriété privée. A la remarque Mais vous êtes chez moi, répondre Oui, d'ailleurs c'est très beau. Alors, quand le dialogue est possible, on se confond en éloges, décrivant les subtilités d'un parcours canin aménagé en bord de rivière, appréciant les béquilles d'une grange qui peine à tenir debout, nous étonnant devant la présence d'un pavillon néo-basque en Lorraine, argumentant en faveur d'un bardage multicolore décorant le pignon d'un logement social, nous montrant mélancoliques devant la disparition d'un supermarché, compensant la qualité prétendue d'un lieu par la qualité des souvenirs qu'il a pu susciter.
Le Fenouillèdes se monte depuis Rivesaltes et peut être descendu par Bugarach. Autant dire que ce vallon calcaire est la route de peu de choses, sinon d'une suite de vignes entrecoupées de gares sur les portes murées desquelles les affiches du PCF remplacent progressivement celles du FN dans le sens de l'altitude. Là, par un grand soleil, j'achète un dimanche matin tous les fruits et légumes disposés sur la nappe cirée d'une dame, au marché. Probablement ramassés la veille à treize heures parmi les invendus d'un bourg plus gros, ils sont parfaitement mûrs. Elle tient en main trois merveilleuses tomates de février, et le visage bruni sous ses longs cheveux blancs, l'air de ne plus rien ressentir de ce climat rigoureux, de ne plus même entendre les frivolités de la rue, me tend un sac en plastique que je pose sur le toit de la voiture en attendant de retrouver ma clé. Comme on regarde un cul, certains jettent un œil sur les plaques d'immatriculation, c'est ce qu'elle a fait. Alors, découvrant notre 71, soudain les yeux aussi mouillés qu'une brume de décembre sur les plaines de Bourgogne, elle s'est approchée et a dit : J'ai passé mon enfance à Chalon-sur-Saône.
NM (2) Graçay, Champagne berrichonne, 2022
L'Atlas est composé d'un ensemble de réalités évidentes parce qu'elles occupent le paysage ou font des signes en bord de route, mais on y trouve aussi des itinéraires parallèles qui nécessitent une plus grande attention. C'est le cas de la série Lieux de drague, qui dépend d'une activité humaine basée sur la discrétion, une discrétion ostentatoire dans certains cas mais seulement pour ses initiés qui savent combiner une heure, un endroit et un geste pour se reconnaître et s'approcher. Nous visitons ces lieux dont nous avons lu des descriptions précises sur des sites dédiés. Certains, en centre-ville, sont pratiqués lorsque le reste du monde dort, d'autres ne sont accessibles qu'à pied, en bordure d'un lac, ils privilégient l'atmosphère bucolique. Mais très souvent, les rencontres rapides ont lieu dans l'anse d'un axe très fréquenté car susceptible de contenir des adeptes dans son flux, et qui intègre l'hypothèse d'être surpris. Parking de nationale, bosquet sous un pont d'autoroute, parcours sportif à l'entrée de la forêt, chemin qui longe une voie ferrée, bâtiment abandonné d'un ancien port. Leur accès est suggéré par un graffiti, l'alignement de quelques canettes de bière, des herbes piétinées. Ils engendrent des images d'espaces sans sujet autre que l'idée de leur utilisation furtive.
NM (3) Geiswasser, Hardt, 2019
C'est bien souvent qu'après avoir photographié un bâtiment sans qualité particulière ni positionnement géographique privilégié, nous croisions la police municipale. Depuis quelques années, il est possible qu'une investigation de nos déplacements à l'échelle du pays soit en cours, chacun des agents de cette étrange affaire espérant un jour nous surprendre en infraction de quelque chose. Le fantasme d'un propriétaire contactant les autorités locales est proportionnel à l'absence d'intérêt dont il pense que son bien fait l'objet. Notre curiosité pour un lieu peu considéré reste louche, elle ne peut qu'abimer un peu plus son image, piller ce qui lui reste de dignité. Dans un premier temps, il faut désactiver le principe de propriété privée. A la remarque Mais vous êtes chez moi, répondre Oui, d'ailleurs c'est très beau. Alors, quand le dialogue est possible, on se confond en éloges, décrivant les subtilités d'un parcours canin aménagé en bord de rivière, appréciant les béquilles d'une grange qui peine à tenir debout, nous étonnant devant la présence d'un pavillon néo-basque en Lorraine, argumentant en faveur d'un bardage multicolore décorant le pignon d'un logement social, nous montrant mélancoliques devant la disparition d'un supermarché, compensant la qualité prétendue d'un lieu par la qualité des souvenirs qu'il a pu susciter.
ET
(2) Cancon,
Haut-Agenais, 2022
On nous demande souvent pourquoi nul humain ne traverse même furtivement nos photos. Cette absence trouble. Elle suscite chez ceux qui nous en font la remarque de l'inquiétude. Pour eux nos images anticipent une catastrophe qu’ils paraissent redouter. Cette crainte de la disparition qui voisine étrangement avec celle d’une future surpopulation est bien sûr le produit d'une projection déraisonnable et du reste marginale.
Néanmoins, c'est indéniable, on croise peu de gens dans nos photos. Le monde que nous photographions semble bien avoir été déserté. À cela, deux explications. La première est de notre fait : nous documentons la France d'abord à travers ses architectures et non le mode de vie de ses habitants.
Ensuite, et c'est une réalité qui n'est pas toujours admise, une grande partie du territoire français (70% peut-être) est peu occupé. Ainsi, il nous arrive souvent de rouler des heures durant sans croiser âme qui vive et cette absence qui pourrait relever d'un parti pris esthétique discutable est d’abord le reflet d'une réalité qu'il serait artificiel d'animer par la présence d'un passant. Ainsi s’explique très simplement le vide donnant paradoxalement l’impression d’un monde qui, faute d’être habité, peut paraitre hanté.
À ce propos me viennent à l’esprit les photographies de l’Hôtel de Ville prises au lendemain de la Commune de Paris. Sur la plupart d'entre elles on peut voir les ruines noircies donnant sur la rue de Rivoli complètement déserte. L'impression fantomatique qui en résulte, pour frappante qu'elle soit, s'explique de façon très prosaïque par le long temps de pose que requérait la technique de l'époque.
Quoiqu'il en soit, il est vrai que la France que nous rapportons de nos voyages est peuplée de bâtiments abandonnés, de constructions délabrées, de ruines et de vestiges qui mis bout-à-bout peuvent donner le sentiment, trompeur dans une certaine mesure, d'un pays qui d'exodes ruraux en désindustrialisation n'est désormais plus traversé que de fantômes. S'il fallait identifier un spectre dans le paysage qui nous occupe, ce serait peut-être celui fantasmé du déclin.
NM (4) Laure-Minervois, Minervois, 2022
Dans l'ancienne enseigne Tout à un euro, on trouvait près des caisses une bague en acier dont la couleur changeait suivant l'émotion de son possesseur. Les vacillements hormonaux de l'adolescence se trouvaient traduits par miracle en un nuancier restreint et sans équivoque. Plus besoin d'afficher son ennui ou de déclarer sa flamme, l'anneau s'en chargeait pour vous.
Qu'en est-il de l'émotion que produit la découverte d'un lieu, comment mesurer l'intensité ? Pourrait-on traverser des villages à la recherche d'un signe extérieur capable de nous échauffer au point de faire virer la bague ? L'épaisseur d'un crépi, l'accumulation de stickers adhésifs sur une vitrine ou la découpe d'une tôle ondulée épousant l'angle d'un toit pourraient accélérer notre flux sanguin jusqu'aux phalanges. Nous avancerions, les doigts écartés comme des bâtons de sourciers à la recherche de grands sentiments.
On nous demande souvent pourquoi nul humain ne traverse même furtivement nos photos. Cette absence trouble. Elle suscite chez ceux qui nous en font la remarque de l'inquiétude. Pour eux nos images anticipent une catastrophe qu’ils paraissent redouter. Cette crainte de la disparition qui voisine étrangement avec celle d’une future surpopulation est bien sûr le produit d'une projection déraisonnable et du reste marginale.
Néanmoins, c'est indéniable, on croise peu de gens dans nos photos. Le monde que nous photographions semble bien avoir été déserté. À cela, deux explications. La première est de notre fait : nous documentons la France d'abord à travers ses architectures et non le mode de vie de ses habitants.
Ensuite, et c'est une réalité qui n'est pas toujours admise, une grande partie du territoire français (70% peut-être) est peu occupé. Ainsi, il nous arrive souvent de rouler des heures durant sans croiser âme qui vive et cette absence qui pourrait relever d'un parti pris esthétique discutable est d’abord le reflet d'une réalité qu'il serait artificiel d'animer par la présence d'un passant. Ainsi s’explique très simplement le vide donnant paradoxalement l’impression d’un monde qui, faute d’être habité, peut paraitre hanté.
À ce propos me viennent à l’esprit les photographies de l’Hôtel de Ville prises au lendemain de la Commune de Paris. Sur la plupart d'entre elles on peut voir les ruines noircies donnant sur la rue de Rivoli complètement déserte. L'impression fantomatique qui en résulte, pour frappante qu'elle soit, s'explique de façon très prosaïque par le long temps de pose que requérait la technique de l'époque.
Quoiqu'il en soit, il est vrai que la France que nous rapportons de nos voyages est peuplée de bâtiments abandonnés, de constructions délabrées, de ruines et de vestiges qui mis bout-à-bout peuvent donner le sentiment, trompeur dans une certaine mesure, d'un pays qui d'exodes ruraux en désindustrialisation n'est désormais plus traversé que de fantômes. S'il fallait identifier un spectre dans le paysage qui nous occupe, ce serait peut-être celui fantasmé du déclin.
NM (4) Laure-Minervois, Minervois, 2022
Dans l'ancienne enseigne Tout à un euro, on trouvait près des caisses une bague en acier dont la couleur changeait suivant l'émotion de son possesseur. Les vacillements hormonaux de l'adolescence se trouvaient traduits par miracle en un nuancier restreint et sans équivoque. Plus besoin d'afficher son ennui ou de déclarer sa flamme, l'anneau s'en chargeait pour vous.
Qu'en est-il de l'émotion que produit la découverte d'un lieu, comment mesurer l'intensité ? Pourrait-on traverser des villages à la recherche d'un signe extérieur capable de nous échauffer au point de faire virer la bague ? L'épaisseur d'un crépi, l'accumulation de stickers adhésifs sur une vitrine ou la découpe d'une tôle ondulée épousant l'angle d'un toit pourraient accélérer notre flux sanguin jusqu'aux phalanges. Nous avancerions, les doigts écartés comme des bâtons de sourciers à la recherche de grands sentiments.
+
Revue Multitudes n°63
Dossier Poésie Parle
Avec Pierre Paulin, Marie de Brugerolle, Sophie Bonnet-Pourpet, Sarah Bahr et Fabrice Mabime, Margot Pietri,
Lorna Flambeaux et Apodose Croniel, Fabien Steichen, réunis par Jérôme Mauche
en septembre 2016
https://www.cairn.info/revue-multitudes-2016-2-page-114.htm
+
Revue Hippocampe n°12
août 2015
20 x 26 cm, 128 pages, 14 euros
peintures et textes, dossier « Météorologie »
+
Revue KIOSK n°57
2013
Avec Eric Tabuchi
Publication numérique
visible sur le site internet de la revue Kiosk
KIOSK is a collaboration of 2 people.
A dialogue, a ping-pong by mail.
An Exchange of data, images, drawings, texts during one month.
Every month an artist is invited to propose an exchange with a person of his(er) choice.
A monthly edition will be created.
Format A4, landscape.
+
Revue Initiales N°3, Marguerite Duras
décembre 2013
Article « De l'amour je me souviens »
à lire ici
Plutôt que de nous éclairer sur un sujet, l'archive peut obscurcir la lecture qu'on a d'un écrivain, troubler la connaissance que l'on croyait avoir de lui, nous conforter dans le mystère. Une personne, à un moment particulier de sa vie dont on ne sait presque rien et par conséquent, par le biais duquel on ne peut tirer aucune conclusion, va écrire une phrase dans un cahier. Une première version, qui surplombera le souvenir. Sans se soucier de l'exactitude. Très vite, on comprend que ça parle d'amour. Rapidement, on en soupèse la gravité. Ça commence à la première personne du singulier, puis peu à peu, elle prend la place du je. On ne sait plus si on a affaire à un journal intime ou au début d'un roman, et quelles en sont les limites. Mais on ne se pose pas cette question, on a plutôt confiance en ce qui est écrit. C'est entouré de petites notes (téléphoner à, envoyer courrier pour), de gribouillages (téléphoniques, d'enfant), de recettes vietnamiennes. De consignes d'écriture, puisque : Rien ne devrait être clair. On revoit le sourire espiègle de cette petite dame qui, lorsqu'un journaliste lui demandait si elle avait vraiment eu un amant chinois en Indochine ou si sa mère était, comme elle l'écrivait, pianiste dans un cinéma, répondait : j'ai un peu triché...
« En marge » et « entre les lignes » sont des expressions faites pour l'archive. On y cherche la faille MD, comme on mènerait une enquête dans une affaire où l'écrit remplace les faits réels - où tout ce qu'on en ressortira ne sera, de toute évidence et avec délicatesse si possible, que présumé.
On se sent un peu comme Jacques Hold face à Lol V. Stein.